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Sans rien autour
à Jean Paulhan
N'ayant plus de maison ni logis,
Plus de chambre où me mettre,
Je me suis fabriqué une fenêtre
Sans rien autour.
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Fenêtre encadrant la matière
Par le tracé tendre de son contour,
Elle s'ouvre comme la paupière,
Se ferme sans rien autour.
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Se sont dépouillées les vieilles amours,
Mais la fenêtre dépourvue de glace
Gagne les hauteurs, elle se déplace,
Avec son cadre étonnant
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Qui n'est ni chair ni bois blanc,
Mais qui conserve la forme exacte
D'un oeil parcourant sans ciller
L'espace soumis, le temps rayé.
-
Et je reste suspendu au cadre qui file,
J'en suis la larme la plus inutile
Dans la nuit fermée, dans le petit jour,
Ils s'ouvrent à moi sans rien autour.
Concert public
Autour du kiosque à musique repeint
La Caisse d' épargne se promène
Et la sécurité s'avance mitre en tête,
Escortée de femmes qui se sont retranchées
Derrière la très belle poitrine,
La poitrine des dimanches de fêtes.
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Comme la baguette va du premier plan
Jusqu'au ran-tan-plan,
Comme le dimanche s'écoule sans avatar,
Le soleil se couche derrière les platanes
Et la rente monte quelque part.
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Soudain il neige. Il tombe d'abord des duvets,
Suivis de plumes bariolées
Qui s'unissent pour refaire une voix,
Qui se rassemblent pour reformer
Le plus hardi des coqs gaulois.
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La trompette tricolore sur ses ergots
Fait marcher au pas la chaisière,
Et le facteur qui assiste au concert
Se sent comblé, il se montre ravi,
Comme s'il avait distribué toute sa vie
La Correspondance de Flaubert.
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Parlerai-je de la grosse caisse? Non pas!
Là dedans se cache un grand secret.
La nuque d'une belle fille c'est du lait,
Longuement je la bois,
Les gens m'applaudissent devant les arrêts.
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Oh, chaisière en alerte contre la resquille!
Pour une nuque où quelques fils d'or brillent,
J'ai perdu mon dimanche et perdu toute décence,
Je ne sais ce qu'en dira demain
La Correspondance.
Le printemps à Montparnasse
Le triangle parfait ce fut toujours le printemps
Et toujours chez nous une fois par an
Il naquit toujours sur une sorte de terre-plein,
Là où se rencontrent les rues Bréa et Vavin.
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"En sa compagnie ah comme j'aimerais voyager!"
Me disais-je à la vue d'un beau garçon clair.
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"A comme j'aimerais jouer avec elle sans danger!"
Me disais-je à la vue d'une jeune fille en fleurs.
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Et les rues Bréa et Vavin se rencontraient
Comme deux cerises accouplées sur une oreille.
Minuit
Le vent bouscule les plus gros déménageurs
Dont les meubles sortent en tumulte de la forêt.
À l'hôpital le silence s'étale plus qu'ailleurs
Quand l'homme se démeuble au dernier degré.
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Il va mourir. Rien ne bouge et plus rien ne passe.
Il est l'homme étalé comme une bête de surface,
Descendu de ses hauteurs, remonté de ses profondeurs,
A l'hôpital il y a des murs plus qu'ailleurs.
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Rien ne passe à travers quand l'attentat ultime
Rapproche les paupières pour qu'elles se suppriment,
Et quand la glace brûlante pose une bonne couche
Au-dessus du mal pour en cautériser la bouche.
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Moi je ne dis mot, pour garder l'espoir d'un accord.
Nous serions disposés à abandonner ce corps
S'il n'était déjà si solitaire dans le drame,
Il fait toujours minuit quand on parle de l'âme.
Transfert nocturne (récit)
Extrait
Ce qu'on appelle mort, c'est un cheminement vers le trou final, et ce cheminement commence dès l'instant où surgit en nous la pensée de l'anéantissement. On est mort, dès qu'on pense à la mort. Comme tout le monde y pense, tout le monde peut en témoigner d'une façon valable. Tous les témoignages comptent, puisque tout le monde meurt et renaît sans cesse, en faisant l'amour, en étant malade, en voyant tomber les feuilles d'octobre. C'est cela la mort à ses débuts: une affaire de conscience. Excepté les grands fous et les tout petits enfants, lesquels ne meurent jamais, tout le monde peut renaître.
Mais il est des êtres pour qui rien n'est plus difficile qu'une renaissance totale. Mourir et renaître, c'est un peu comme aimer et haïr. L'amour a été octroyé, à certains, avec une si grande abondance que cet amour s'est transformé en poison. Ces êtres-là n'ont pas seulement vécu la mort par une sensation violente. Ceux-là n'ont pas seulement mordu la cendre. Mais ils en ont conservé le goût. Leur témoignage eût été plus important, s'il n'avait le défaut de pouvoir tout dire. Mais il dit tout. Ces morts-là ont toujours su se mettre en communication avec les vivants, grâce à leur langage qui est resté compréhensible. "Mais à ce dernier rolle de la mort et de nous, il n'y a plus que faindre, il faut parler françois", recommande Montaigne. Eh bien, ils parlent français. Ceci est une vérité. Elle est de celles qui ne sont pas plus amusantes que le rire d'un crâne.
Mais que ces mêmes êtres fassent le terrible voyage non pas dans les remous d'une pensée, ou le saisissement d'une sensation violente, non pas du canal ouaté d'une de ces maladies qui provoquent l'extinction et l'engourdissement (et à propos desquelles Vauvenargues disait: "Les maladies suspendent nos vertus et nos vices"), mais qu'ils s'en aillent parmi les flamboiements monstrueux des douleurs conscientes, des plus violentes des douleurs physiques, de celles qui attaquent le corps à coups de tenailles précises et de pinces vitriolées, toujours en épargnant les centres vitaux pour que le cheminement s'accomplisse avec une lenteur affolante, alors tout change. Ils deviennent des morts authentiques. Ces morts-ci changent d'univers. Ce n'est plus une question de degré, mais une question de nature. Ils deviennent de vrais morts, rejetés vers le mutisme partiel, pour cette simple raison qu'ils ne peuvent pas tout dire. La douleur physique est incommunicable. Allez, allez, il n'y a pas de français qui tienne!
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